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ZARPARAN

lundi 22 juin 2015, par FIROUZEH EPHREME

À l’attention des élèves du lycée Julio Curie d’Hirson,

Bonjour,

Je tenais à remercier les élèves du lycée Julio Curie ainsi que leurs enseignants, M. Lionnel Wimmer, M. Loic Chevereau et M.Pierre Loiseau pour leur accueil, leurs lettres et leur présence à la journée bilan.

Firouzeh Ephreme

Des cultures de safran étant présentes sur le plateau iranien, il est dit que safranum viendrait du persan Zarparan (زرپران), zar (زر) signifiant « or » et par (پر) « plume » ou « stigmate ».

ZARPARAN

Ne me demandez pas mon nom, ne me demandez pas qui sont mes parents, ne me demandez pas d’où je viens ; écoutez mon histoire puisque ce sont les hommes qui font leur histoire, et la mienne est celle de mon peuple.

Nous étions des milliers à partir, à quitter nos foyers jadis confortables. À l’heure de l’exode, nous avions tous en mémoire l’histoire racontée par nos ancêtres : le récit de Zar-Paran.
Notre peuple vivait sur un vaste territoire où les montagnes aux sommets enneigés se levaient vers le ciel, où des forêts intenses couvraient le sol et côtoyaient des déserts que nous appelions Kavir. Une terre où, par temps de pluie, nous prononcions des louanges. Nous respections l’eau, et par un serment tacite, nous la protégions comme si elle rassasiait nos âmes.

C’était un endroit idéal pour naître, propice pour vivre, unique pour tomber amoureux et tranquille pour mourir. Une terre où, sous les puissants rayons du soleil, nous regardions des chèvres de montagne. Une terre où la vigilance était le mot d’ordre afin d’éviter la piqûre du serpent. Une terre où les mers abritaient des poissons. Un endroit où, à la nuit tombée, le ciel du Kavir nous ouvrait le théâtre du monde, un spectacle radieux où les étoiles parlaient avec les hommes. Une terre où nous pensions que le monde était assez vaste pour que chacun puisse vivre en paix. Une terre où tous ceux que nous pouvions aimer, admirer, craindre ou détester, faisaient partie d’un ensemble. Une terre où la nature exerçait sa fascination et son droit d’accueil pour nous, les hommes.

Cette terre était-elle meilleure qu’une autre, ou était-elle ordinaire ? Ressentions-nous un amour aveuglant envers elle ? Qu’avait-elle de si spécial à dévoiler, à murmurer, à enseigner pour faire trembler nos cœurs, pour construire nos pensées et pour faire naître nos âmes ? Quelle était sa force à inciter tous nos égards envers elle ?

Un matin, à notre réveil, rien n’était plus pareil. Les vents sombres avaient soufflé sur notre terre, et les chèvres avaient disparu. De notre montagne, il ne restait qu’une ombre tapissant notre sol. Les forêts perdaient leurs bêtes, et les mers s’appauvrissaient de leurs extraordinaires poissons.

Nous devions plier bagage. Nous partions. Nous étions des milliers d’individus emportés dans une marche incessante. Le monde était si vaste, et les hommes étaient si nombreux. Après chaque halte, nos feux s’éteignaient pour ne laisser derrière nous que de vagues souvenirs des étranges étrangers que nous étions. La faim, la fatigue et bien d’autres infortunes nous guettaient, du fait de nous séparer de nos chers compagnons, des filles et des garçons à la fleur de l’âge, des vieillards épuisés par le voyage et des enfants usés. Las du périple et en vue de terres peu hostiles, certains, déposaient leurs bagages et nous quittaient. Tels des papillons monarques, la caravane continuait son chemin sous les rayons du soleil couchant pour reprendre à l’aube suivante.

Notre seule fortune consistait à planter des bulbes d’oignons dont nous avions le secret. Nous continuions à perpétuer nos gestes, à les cultiver, à cueillir leurs fleurs et à séparer les pistils. La récolte nous permettait de vivre, et nous servait de billet d’échange afin de nous nourrir et de nous habiller. Quelquefois, nous changions d’emplacement. Nos séjours sur une terre à l’autre variaient de quelques heures à quelques années. En partant, le sentiment de nostalgie était absent, et nous n’étions pas enthousiastes d’arriver. Les enfants grandissaient, ils remplaçaient les adultes qui, à leur tour, le dos courbé, observaient passer l’automne de leur vie. Nous continuions à regarder le ciel, et nous faisions des louanges à l’apparition des pluies. Les fleurs mauves sortant de la terre nous faisaient croire aux miracles. Ces fleurs traçaient le chemin parcouru par notre peuple. De ces milliers de voyageurs, il ne restait qu’une poignée d’hommes et de femmes. Durant tout ce temps, nous n’avions jamais renoncé à parler notre langue. Les plus jeunes avaient oublié les récits de Zar-Paran.

Désormais, le soir venu, autour du feu, nous parlions de nos récoltes. Les femmes serraient leurs nouveaux-nés dans les bras, les pères parlaient de temps anciens, et les vieillards apprenaient la patience aux plus jeunes. Nos chants pénétraient dans la nuit, les étoiles nous souriaient de nouveau, et d’étranges étrangers venaient nous voir. Peu à peu, à travers leurs dialogues, nous distinguions deux mots que nous avions l’habitude de rappeler aux plus jeunes : « zar » qui signifiait l’or, et « par » qui voulait dire « plume ». Sous l’éclat du soleil, les pistils de nos fleurs avaient la couleur de l’or et étaient si légers qu’il fallait faire preuve d’une grande prudence pour ne pas les laisser s’envoler. En nous voyant, ces étrangers murmuraient : « Zarparan, Zarparan. » Ils nous observaient et s’intéressaient à nos récoltes. Ils voulaient en savoir plus sur nous. Nous devenions le peuple de Zarparan.

Firouzeh Ephrème

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