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DONNEMARIE - mon père est revenu à la fin de la guerre

MADAME Jacqueline LAURENT née en 1934 à Donnemarie

mercredi 21 novembre 2007, par Frederic Praud

Donnemarie vs Dontilly

Les deux villages étaient assez fondus. Je ne sais pas si l’opposition entre Donnemarie et Dontilly était plus ancienne. Dontilly était plus un village de fermes, alors que Donnemarie, chef-lieu de canton, était commerçant. L’opposition reposait sur des histoires de gamins. Ma grand-mère m’en avait parlé ainsi que ma tante. Les enfants s’attendaient dans les bois de Goyot pour se tabasser. C’était fini à mon époque.

Donnemarie

Les deux docteurs, Rosenthal et Deberdt, étaient des personnages importants. Ils étaient très dévoués. Il n’y avait pas de jour où ils n’étaient pas de garde. M. Lecointre, le maire, était lui aussi très aimé et très respecté. Il est mort en 1947.

Pour les gens de mon âge, le personnage marquant qui s’est beaucoup occupé de nous est l’abbé Lamothe. Il nous entraînait à faire des jeux et nous amenait en balade.

Le cinéma, au café de l’Agriculture, c’était quelque chose pour nous ! La salle de était belle. Pendant l’entracte les gens allaient consommer au café. Il s’agissait très certainement d’une ancienne salle de théâtre. Il y avait eu deux théâtres avec celui de la Comédie. La salle, légèrement inclinée, avait une estrade et un balcon à l’arrière, des deux côtés de la cabine de projection. C’était haut de plafond. On y allait tout le temps, même pendant la guerre. C’était le point de rendez-vous de tous les agriculteurs qui venaient pour le grain (la graineterie était près de l’église) ou pour les chevaux. Il y avait beaucoup d’activités. Les transactions pour les bêtes se faisaient au bistrot.

Le bâtiment de l’ancienne cidrerie est resté. Il est magnifique. Ici, les gens ne buvaient que du cidre. Il y avait juste un petit peu de vignes sur les coteaux de Luisetaines, au début du XXe siècle.

Peur des Allemands

Mon père est né en 1909. Mon grand-père parlait parfois de la guerre de 1914 ; il l’avait faite. J’étais gamine et ne faisais pas trop attention à cela. Mais, ma grand-mère racontait qu’en 1870, sa mère avait peur des Hulans venus jusqu’à Laval, à deux kilomètres.

Exode

J’avais six ans. Nous sommes partis avec mes grands-parents, un fermier des Verrines, ma mère (mon père était prisonnier en Allemagne), M. et Mme Cochin qui étaient les beaux-parents du fermier. Nous nous sommes en allés sur des grosses charrettes à foin avec des ridelles. Il fallait drôlement grimper ! Ils avaient tout mis là-dessus : des matelas, etc. Ils pensaient que l’on partait pour je ne sais pas combien de temps. Mon grand-père, estropié, marchait avec une cane. Arrivés sur la route dans la forêt de Preuilly, on s’est fait mitrailler par les Italiens. On s’est caché comme on a pu dans les fossés. Les Italiens voyaient toutes les colonnes. Il n’y avait pas de voitures, seulement des chevaux. Cela n’a pas été rien pour traverser le pont de Montereau ! Le pont n’était pas large. On s’est de nouveau fait mitrailler. J’avais peur. J’entendais les avions avant les adultes et ça a frappé tout le monde. Nous ne sommes même pas allés jusqu’à Gien, car les Allemands sont arrivés en même temps que nous.

A force de sauter dans les fourrés, j’étais couverte de griffures. Cela s’est infecté. L’infirmerie de la Kommandantur m’a soignée. Quand on est revenu, la maison était ouverte et quelques victuailles avaient été prises. Mon père était prisonnier à Saverne, avant d’être déporté en Allemagne. Il n’est rentré que fin juin 1945.

Situation familiale

Ma mère travaillait chez Mr Fromentin, notaire. Elle avait deux filles. Ma sœur avait trois ans de moins que moi. Elle nous a abandonnées toutes les deux. Ma soeur a été élevée par Mme Fromentin et moi par mes grands-parents. Elle nous avait amenées sur Paris pour nous abandonner, mais on lui avait dit de nous confier à nos grands-parents paternels.

L’Occupation et les restrictions

J’avais peur des Allemands. Ils sont restés trois mois chez les Normand, rue Cassin. La présence allemande était assez discrète. Ma grand-mère avait refusé de laver le linge allemand, en prétextant qu’elle n’avait pas de savon. Le soldat est revenu avec du savon.

Leur présence à Donnemarie a été courte. Ceux qui étaient là n’étaient pas méchants.

Il y avait des restrictions, même si on était moins malheureux qu’à Paris. Ma grand-mère avait quand même des lapins, des poules, des œufs… C’était surtout la matière grasse et la viande qui manquaient. On allait chercher de l’oeillette chez une dame à Thénizy, qui avait un moulin pour faire l’huile de noix ou d’oeillette. Des fois, on y allait pour rien. Quand les pains de noix ou les pains d’oeillette étaient bien compressés, ça faisait comme des petites galettes. On mangeait ça et on aimait bien. On n’avait pas beaucoup de vêtements et quand il y avait un arrivage, on se précipitait pour faire la queue. Le pain n’était pas bon, j’ai attrapé la galle.

A mon niveau, je ne sentais pas beaucoup de pression à Donnemarie. Ceux qui ont fait de la résistance peut-être…

Guillet

La famille Bergher venait passer des vacances dans le coin. Mme Guillet gardait le petit dernier, Maurice, qui restait un petit peu plus longtemps que les autres. Quand il y a eu les rafles de Juifs dans la capitale en 1942, les Guillet sont allés chercher Maurice sur Paris. J’habitais chez ma grand-mère, au n° 6 de la Porte de Provins, et les Guillet au n° 6 bis. Ils l’ont ramené ici pour le cacher. Il avait neuf ans. Le maire a fait des faux papiers en enlevant le H de Bergher. Maurice Berger ne parlait pas de sa famille. On jouait. On savait qui c’était, mais personne n’a jamais parlé, sinon les Guillet auraient été condamnés à mort. Leur fils aîné, André, faisait déjà les quatre cents coups. Il avait fui le STO en Allemagne. Quand Monsieur André Guillet allait faire ses parachutages, il amenait Maurice avec lui. Ils partaient des nuits entières.

Jeux

On jouait sur la route de Provins. C’était notre territoire. On jouait à la marelle, au cerceau, au ballon. Chaque saison avait ses plaisirs. On allait cueillir du muguet ou des fraises dans les bois de Preuilly, glaner pour les poules et faire de l’herbe pour les lapins, chercher du bois mort ou du blé, etc. Mon grand-père broyait le blé dans un moulin à café et après, on le passait au tamis pour pouvoir faire du pain.

Le jeudi ma grand-mère faisait du pain au lait, et c’était comme si on avait eu de la brioche.

Débarquement

Nous étions contents d’apprendre le Débarquement. On pensait que mon père allait rentrer rapidement. Je me souviens que l’on écoutait Radio Londres chez Mme Dauvergne, après le dîner. « Les Français parlent aux Français. ».

Presque toutes les nuits, on entendait les bombardiers passer. C’est un bruit sourd dont je me souviens encore.

L’avion allemand écrasé

Ça s’est produit une nuit de mai. L’avion en flamme a éclairé le ciel. Mes grands-parents ont eu peur qu’il s’écrase sur Donnemarie. Nous sommes sortis de chez nous au moment où les Allemands montaient sur la route de Mons. Ils nous ont mis en joue pour nous faire rentrer chez nous et éteindre la lumière. Nous n’avons plus bougé.

Le lendemain, comme tous les gosses, nous sommes allés voir. J’ai encore l’odeur de la chair brûlée dans le nez. On ne s’approchait par trop car les Allemand le gardaient. L’avion s’est piqué entre la route de Mons et celle de Provins. La queue est tombée vers le bois de Sigy. L’homme, qui avait sauté en parachute, s’est écrasé vers le cimetière de Donnemarie, route de Provins.

Nous, les gosses, allions jouer sur la queue de l’avion. On montait sur les petites ailes arrière, pour le faire basculer. C’est devenu notre lieu de promenade pendant plusieurs jours. On ramassait tout ce que l’on trouvait.

Alors que l’on était en train de glaner près d’un silo, entre la route de Provins et celle de Sigy, un avion est venu le mitrailler. Nous avons alors juste eu le temps de nous planquer dans le fossé, vers le cimetière.

Rafle des hommes de Donnemarie

J’étais chez ma grand-mère en train de faire mes devoirs, quand nous avons vu arriver les Allemands qui remontaient de la route de Provins. Ils ont pris toutes les maisons en enfilade, en raflant les hommes. Quand ma grand-mère a vu ça, elle a dit à mon grand-père d’aller se coucher au premier étage pour se cacher. Mais après, elle a eu un remord parce qu’on avait dit que si tous les hommes ne se présentaient pas, les autres seraient fusillés. Elle a envoyé mon grand-père rejoindre les autres. On avait peur. Comme il marchait mal, les Allemands lui donnaient des coups de pied pour le faire avancer plus vite. Il a cru qu’il n’y arriverait jamais. Il était enfermé à l’école Burin.

Je ne suis pas allée lui porter à manger. Ma grand-mère me protégeait. J’avais peur des Allemands.

La dernière nuit a été assez mouvementée, parce qu’il avait été dit qu’ils allaient faire sauter l’entrée de Donnemarie. Ils avaient entassé des caisses. On s’était réfugié dans les caves profondes de chez Lemire. Un Allemand est venu pour compter combien de personne nous étions et il a aussi compté le nombre de verres. Quand il a vu les enfants couchés dans le lit, il a dit :
« Moi aussi avoir petite fille… »
Il avait un peu la larme à l’œil, mais c’était déjà la débâcle. Le lendemain, ils sont partis sans même emmener leur cantine, qui est restée sous les marronniers.
L’arrivée des américains, la Libération

Le dimanche matin, tout était calme. On a vu les Allemands partir sur la route de Provins. Peu à peu, les hommes sont rentrés chez eux. On entendait les bombardements au loin. Depuis le samedi, la rumeur de la présence américaine courait à Fontainebleau. C’était calme à Donnemarie. Puis, les chars sont arrivés d’un seul coup vers 14 heures. Ce fut le délire !

Nous, les enfants, étions sur le bord de la route à attendre que les Américains nous jettent des trucs. Nous étions tous contents. Dans les jours qui ont suivi, comme c’était l’été, on faisait du troc avec eux : des fruits frais contre du chocolat, du chewing-gum ou des sachets de Nescafé.

Les Américains sont restés longtemps cantonnés à Sigy. Quand on a repris l’école, c’était notre promenade. Nous passions presque notre journée avec eux. Nous étions contents de ramener un peu de sucre ou de café à notre retour.

Retour du père

A la Libération, j’attendais surtout le retour de mon père. On écrivait et on attendait ses cartes. Il est revenu à pied de Maison Rouge en juin 1945. Dés que l’on a su qu’il revenait, on est allé au devant de lui… Il y eut beaucoup de pleurs. Quand mon père est rentré, il n’avait plus de foyer. Mon cousin, M. Caix était garagiste. Mon père travaillait chez lui avant la guerre et il a repris son activité dès son retour.

Les communions avaient toujours lieu le dimanche qui précédait la fête Dieu, le 4 juin. Mon père n’était toujours pas rentré et celui de Denise Bellagué non plus. Le curé a reculé la première communion au premier dimanche de juillet. L’abbé Lamothe était très proche des enfants. On répétait pour la première communion. D’un seul coup, il est tombé en se heurtant la tête sur les marches de l’autel, dans l’église. Il était épileptique. Cela nous avait marqués.

Message aux jeunes

Il faudrait qu’ils profitent de notre expérience pour ne pas reproduire ces choses-là. Pour la commémoration du 60ème anniversaire, on a renouvelé les plaques des rues des trois fusillés. Les associations d’anciens résistants ont mis une gerbe et la municipalité a mis un coussin bleu blanc rouge avec un ruban. Le lendemain, il y en a eu deux de volés. Certains jeunes ne respectent pas assez les souvenirs de cette période.

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