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Sarcelles 70, la belle vie...

Vietnam - engagé dans l’armée française

Mr Mohamedaly

dimanche 14 mars 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Je suis né français à Saigon en 1954 et je suis arrivé en France en 1972. Ma mère est originaire du Sud Vietnam alors que mon grand-père maternel était natif du Nord, bien que vivant au Sud depuis son jeune âge. Je ne sais pas exactement en quelle année il a quitté le Nord mais en tous cas, nous avons encore des racines là-bas, de la famille. Il est parti vers le Sud pour faire sa révolution et il y est toujours resté. Je n’appartient à aucune minorité vietnamienne.

Mon père est d’origine indoue, de Pondichéry. C’est de lui que me vient mon nom. Mon grand-père paternel, qui était commerçant, avait quitté le comptoir français pour finalement atterrir au Vietnam, après avoir beaucoup voyagé. Il s’y est installé et s’est marié avec une Vietnamienne qui a donné naissance à mon père. Par contre, ma famille maternelle est exclusivement vietnamienne.

Mon père et ma mère étaient commerçants à Saigon. Ils ont passé toute leur vie à faire ça, du moins jusqu’à leur départ en 74. Mais pendant un moment, lorsque le commerce ne marchait pas, mon père a pris un travail dans une usine, encore plus ou moins sous tutelle française. C’était la brasserie saïgonnaise qui fabriquait des bouteilles de bière.

Enfance à Saigon

Á Saigon, nous ne sentions pas le conflit. Les combats avaient lieu dans des contrées lointaines et en tant qu’enfants ou adolescents, on ne voyait pas directement la guerre. On en entendait parler à la radio ou à travers ce que les gens racontaient mais c’était virtuel pour nous ! Heureusement pour nous, nous n’avons pas été confrontés directement à la mort, aux cadavres… Nous étions donc moins sensibles à cette guerre. On se sentait concerné mais de très loin.

Je n’ai pas de religion. Du côté maternel, ma famille était bouddhiste et du côté paternel, mon grand-père était imam de mosquée, ce qui ne l’a pas empêché de se marier avec une catholique. Il était très tolérant ! Il a laissé une totale liberté à ses enfants et il a conseillé à mon père de le suivre dans cette voie. De là, il nous a inculqué cette même liberté mais tout en respectant la religion.

Durant mon enfance, il n’y avait pas encore de guerre à grande échelle. C’était une guerre de partisans. La mobilisation générale n’avait pas encore été décrétée à l’époque ! Je ne me souviens plus de la date mais elle l’a été très tard. Jusque-là, ce sont des militaires volontaires qui participaient aux combats. C’est pourquoi, on ne voyait pas réellement l’évolution du conflit. Même dans ma famille maternelle où ils sont tous vietnamiens, seul une de mes oncles était dans l’armée. Les autres ne se sont pas engagés.

En 54, mon père a plus ou moins loupé Diên Biên Phu parce que son unité aurait normalement dû être appelée en renfort. Mais à la dernière minute, comme ils ont certainement senti que ça ne valait plus la peine, mon père est resté dans sa caserne sans participer à la fin de la bataille. Du coup après, il s’est sans doute senti moins visé par rapport aux conquérants et l’obligation d’être rapatrié en France n’a pas été à l’ordre du jour. Comme ses camarades, il n’a pas eu cette idée. Et puis, mon père était né au Vietnam ! Il se sentait comme un enfant du pays ! Il vivait et pensait comme un Vietnamien ! Cette attache était très importante pour lui. Même s’il avait la nationalité française, la France représentait vraiment un mirage lointain, impalpable… Il ne pouvait donc pas penser à ça…

Á la maison, nous parlions exclusivement vietnamien. Il faut dire qu’à l’époque, les Français étaient une minorité ! Ils vivaient à part, séparés du reste de la population ! Du coup, la langue ne passait pas. Il y avait une frontière. Quand j’étais adolescent, un départ pour la France n’était donc aucunement envisagé. Cela ne faisait pas partie de nos rêves… Personne ne pensait à se déplacer…

Au milieu des années 60s, les soldats américains ont commencé à arriver en masse mais ils étaient loin de la capitale, à trois cents ou cinq cents kilomètres. Alors, on ne le sentait pas. Aujourd’hui, dès que quelque chose se passe, la télévision est là pour transmettre l’image ! Vous voyez ça tout de suite ! Mais à ce moment-là, non. Même au début des années 70s, nous n’avons pas réellement senti le conflit approcher, que ce soit moi ou mes copains de lycée. La guerre ne nous faisait pas peur parce qu’on la vivait au quotidien, de loin. De toute façon, on ne pouvait pas l’éviter ! On savait qu’elle était là ! Certains de mes camarades sont partis volontairement faire l’armée mais heureusement, personne parmi eux n’est tombé au combat. C’est la raison pour laquelle nous n’étions pas trop sensibilisés à tout ça. On ne voyait pas réellement la guerre…

Engagement dans l’armée de l’air française

Je suis venu en France à l’âge de dix-huit ans. Il est arrivé un moment où l’on s’est dit que tout était plus ou moins fermé, en particulier l’accès à l’université. Il n’y avait pas d’université française là-bas ! Si on voulait continuer, il fallait venir ici ! Je suis donc parti en France dans l’objectif de poursuivre des études. Mais après un moment d’hésitation, je me suis dit : « Bon, on va tenter ! » et je me suis engagé au Vitenam dans l’armée de l’air française, au lieu de venir ici faire le service. Comme je suis né français, il n’y avait pas de problème ! Á l’époque, on ne pouvait pas avoir de double nationalité. Soit on gardait la nationalité française, soit on demandait à devenir vietnamien.

En arrivant en France en 72, j’ai trouvé que c’était un monde merveilleux par rapport au Vietnam qui était un pays plus ou moins « sous-développé ». Ici, il y avait tous les trucs modernes ! Tout était magnifique ! Les gens étaient accueillants ! Pendant cette période-là et même après à Sarcelles, c’était superbe ! Le printemps arrivait avec les tulipes… C’était un jardin botanique ici ! Mais, je ne suis pas venu directement. En 72, j’ai passé un moment à Paris et ensuite, j’ai rejoint la caserne du Bourget. C’est à partir de 74, lorsque mes parents sont arrivés, place Jean Charcot, au centre de rapatriement, que je suis venu m’installer à Sarcelles, au N° 3 de la rue des Belles Cours.
Conditions d’accueil de mes parents

Mes parents sont venus en France un an avant la chute de Saigon, un an avant que tout commence. Le premier centre de rapatriement devait être situé à Paris, dans le XIIIème arrondissement, mais il était assez petit. Comme dans ces années-là, il y avait des conflits un peu partout, dans le monde entier, les gens de nationalité française concernés pouvaient demander à quitter le pays où ils résidaient pour être rapatriés en France et y trouver une vie meilleure.

Mes parents ont donc malgré eux été plus ou moins obligés de quitter le Vietnam pour une question de sécurité. Comme le centre de Paris n’avait plus de place pour accueillir les rapatriés, il a été transféré à Sarcelles où il y avait beaucoup plus d’espace. Le centre de Sarcelles a dû justement ouvrir en 74, lorsque les gens ont été très nombreux à quitter le Vietnam. Ils sont tous arrivés là et l’accueil était très correct. Il faut le dire.

Selon la composition de la famille, le centre attribuait un logement adéquat. Comme mes parents sont venus accompagnés d’une famille nombreuse, ils ont obtenu l’équivalent d’un F6, place Jean Charcot, juste au dessus du centre, dans un immeuble qui devait contenir en tout douze appartements. Mais, c’était provisoire ! Cela durait les trois premiers mois. Ensuite, on aidait les gens à s’installer ailleurs, autour, en les soutenant financièrement. C’est pour ça que mes parents sont restés à Sarcelles.

Le Sarcelles des années 70s : la belle vie…

Á l’époque, la vie était très facile. Il n’y avait pas de chômage ! On ne connaissait pas l’ANPE ! Alors, les gens étaient beaucoup plus accueillants ! Quasiment tout le monde avait du travail, personne ne traînait dans la rue, chacun avait de quoi vivre correctement ! C’était donc chaleureux et convivial ! La question de la sécurité ne se posait pas. C’était la belle vie dans ces années-là… D’ailleurs, je pense que si aujourd’hui, on supprimait toutes les voitures, on retrouverait plus ou moins le calme d’avant. C’est une idée comme ça.

Il n’était pas difficile d’obtenir un logement ! Vous pouviez trouver assez rapidement ! On n’entendait pas parler de propriétaires qui se demandaient : « Est-ce que ce locataire va pouvoir me payer ? » Cette question-là n’existait pas à l’époque ! Mais, il faut dire aussi que la vie économique s’y prêtait…

Á Sarcelles, il y avait déjà de nombreuses communautés mais tout le monde se mélangeait très facilement. Il n’y avait pas d’étiquettes ! On ne se demandait pas qui est qui dans le voisinage ! L’essentiel était de vivre ensemble harmonieusement et de s’entraider. Un voisin qui avait un problème pouvait venir frapper chez nous ; on faisait le nécessaire. C’était comme ça au quotidien. C’était tellement facile qu’on ne se posait pas questions…

Entre 72 et 74, j’étais à Paris et je n’ai jamais entendu dire de mal de Sarcelles. Á ce moment-là, c’était une vitrine, une ville nouvelle avec de grands immeubles à étages ! C’était quelque chose qu’on n’avait jamais touché, quelque chose de merveilleux ! Il y avait des logements pour tout le monde ! Lorsque je me déplaçais pour venir voir des amis, je prenais le train de banlieue et il n’y avait jamais de problèmes ! Je rentrais par le dernier train ! Ici à Sarcelles, contrairement à Paris, on voyait la verdure partout ! Le parc Kennedy était magnifique ! C’était grand, ouvert, fleuri ! Il y avait énormément de fleurs ! C’était vraiment la belle vie….

Sarcelles d’hier, Sarcelles d’aujourd’hui

J’ai vécu à Sarcelles une quinzaine d’années, entre 74 et 90. Pour moi, d’un point de vue global, je pense que le problème est venu d’un conflit d’espace. Á mon époque, sur la même superficie, la ville comptait beaucoup moins d’habitants et chacun pouvait profiter de la liberté d’espace qui lui convenait. Seulement maintenant, la population a doublé ou triplé ! C’est un phénomène naturel ! Lorsque vous mettez de plus en plus de choses dans un même volume, ça finit toujours par poser des problèmes ! Même si les Sarcellois sont bien logés, à un moment donné, dans un même espace, vous ne pouvez pas stocker beaucoup plus parce que ça manque d’oxygène ! Je crois donc qu’aujourd’hui, la ville est un peu surpeuplée.
La mémoire vietnamienne transmise eux enfants

Si en grande majorité, la communauté vietnamienne s’est un petit peu éloignée de Sarcelles, l’association des Vietnamiens dont je suis le président, est toujours restée là depuis sa création, il y a quinze ans. Les années passent très vite ! Mais, lorsqu’on est bien quelque part, il n’y a pas de raisons de partir ! On est fidèle ! On ne se pose pas de questions… Simplement, il faut savoir que le volontariat est quelque chose de très difficile… Cela dépend du cœur de chacun…

Dans le cadre de l’association, nous avons tenté pendant un moment de prendre en charge la transmission de la mémoire du Vietnam mais c’est très difficile car maintenant, en France, on laisse une totale liberté aux enfants. On ne leur impose rien. On attend qu’ils viennent, qu’ils posent des questions pour leur expliquer mais ouvertement, sans tabous. Nous sommes donc en position d’attente. Il faut que les jeunes sachent que la génération des anciens est ouverte à toutes leurs questions ! Mais, c’est à eux de les poser car nous, on ne sait pas ce qu’ils ont comme problèmes.

S’ouvrir aux autres cultures

Les jeunes Vietnamiens, en majorité, parlent le vietnamien. De toute façon, je crois que plus on connaît de langues étrangères, mieux c’est ! Moi, si mes enfants savent un jour s’exprimer en congolais, je serais ravi ! Á la maison, je parle à la fois français et vietnamien. Mais, j’ai souvent entendu dire que les enfants d’origine étrangère ne devraient soi-disant pas apprendre à parler leur langue maternelle parce que ça les gêne à l’entrée en maternelle, ça les pénalise. Je ne me suis pas posé cette question et tout s’est bien passé… Il faut dire aux gens qu’ils ne doivent pas avoir peur ! C’est enrichissant pour un enfant de pouvoir parler le vietnamien, l’arabe, ou je ne sais quoi d’autre ! Plus il connaît de langues, mieux c’est !

Il y a deux ou trois ans, nous avons eu l’occasion de faire un voyage au Canada avec les enfants. Comme ils sont au lycée, je leur ai un peu forcé la main pour parler anglais. Ils ont essayé et moi, j’ai trouvé ça magnifique ! Je leur ai expliqué : « C’est ça que je voudrais bien voir pratiquer dans les écoles ! Si par exemple un copain congolais vous dit quelques mots dans sa langue, vous devez essayer de comprendre ! Il vous dira ce que ça signifie ! C’est ainsi que peut se transmettre une multitude de langues et le simple fait de connaître quelques mots, ce seul acquis, est déjà quelque chose de magnifique ! » Mais, mes enfants me disent inconsciemment : « Papa, pourquoi en France on parle d’autres langues ? Á quoi ça sert ? » Pour moi, c’est fabuleux ! Seulement, il faut sans doute être arrivé à un certain âge pour avoir cette conception…

Message aux jeunes

Aujourd’hui, les jeunes parlent beaucoup de respect mais je voudrais qu’ils comprennent qu’ils doivent commencer par respecter les autres pour être respectés eux-mêmes. Pour moi, la tolérance est également quelque chose de très important. Notre génération, celle des parents, est très tolérante et peut-être que ça leur manque maintenant, quoi qu’on en dise… Il faut savoir beaucoup donner…


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

Messages

  • bonjour,
    nee au vietnam, a saigon fin 1954 de parents francais, je suis impregnee de ce pays, cher a mes parents, et j’y ai recue une education qui m’a moi meme profondement attache a toute ces valeurs de la famille et du respect.....car mes parents vivaient au milieu de la population et non au milieu des francais.....qui n’etaient qu’etrangers pour certyains....
    meme d’origine francaise...je me sent plus proche des valeurs du vietnam que celles d’europe !!!!
    j’aimerai un jour pouvoir y retourner et y retrouver toutes ces odeurs, toute cette vie qui au fond de moi, sont toujours tres presentes....
    c’est un pays, une population fantastique, et qelque part, meme si mes origines sont en france, c’est mon pays natal, ou je suis nee et ou j’y sent mes veritables racines. le vietnam est un pays magnifique, avec une population genial c’est mon pays que j’aime profondement.
    toutie

  • wow, c’est tres cool ! mon pardon, je parle tres peu de francaise, parce que je suis americaine, mais, j’ai beaucoup d’intresse de ton article parce que mon pere etait francais et vietnamien...mais malheuresemnt il est mort...alor, ton histore est tres interessante. merci.

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