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Sarcelles : Pierrot né en 1989

Ecole : Là ils m’ont dégagé et pourtant des fois je me dis « j’aimerais bien y retourner »

Sortir pour moi, c’était s’évader du monde de la maison

mercredi 30 juin 2010, par Frederic Praud

Pendant très longtemps au collège Voltaire les classes A étaient les meilleures classes. Il y avait des enfants des profs du collège dans cette classe. Des fois on mettait deux, trois fouteurs de merde, j’en ai fait partie, on les mettait en A. Je me suis retrouvé avec un copain à moi dans cette classe, je me suis dit « mais qu’est-ce qu’on fout là ? » ; c’est chaud parce que dans un collège public comme ça, il y avait toujours cette classe qui était le summum. C’est vrai, je me rappelle, quand j’étais dans cette classe en quatrième, ça a été ma pire année : « il faut que tu travailles plus vite… ». Ça m’a toujours énervé cette classe. Pourquoi elle était là ? Pourquoi on mettait entre guillemets les meilleurs au niveau scolaire dans cette classe ?

Pierrot

Je suis né en 1989 à Robert Debré, Paris 19e. Je suis arrivé à Sarcelles, je devais avoir cinq, six ans en 1993. J’y ai fait ma troisième section de maternelle. Ma mère a toujours vécu à Sarcelles. Ma grand-mère maternelle a aussi vécu à Sarcelles.

Des origines cent pour cent hexagonales

Elle s’appelait Ramad de son nom de jeune fille et le nom de jeune fille de ma mère c’était Decraenne parce que mon grand-père maternel était flamand. Ma mère est une pure sarcelloise. Ma grand-mère a presque vécu toute sa vie à Sarcelles et ses parents à elle, je ne sais pas. Mon grand–père paternel est originaire de Normandie. Il a rencontré ma grand-mère qui était originaire du Limousin et ils sont montés à Paris. Mon père est né à Paris et il a vécu à Paris. Je suis hexagonal 100%. Juste mon grand-père du côté de ma mère, que je n’ai pas connu, était belge. Je sais que j’ai des origines catalanes très lointaines du côté de ma grand-mère paternelle.

Mes parents

Ma mère a arrêté les études après le bac. Je crois qu’elle ne l’a pas eu. Depuis qu’elle travaille, elle est toujours dans la même société d’assurances, donc elle gère des dossiers par téléphone. Avant elle était à Levallois, maintenant elle est à Clichy. Mon père n’a jamais eu un travail fixe. Il a rencontré ma mère dans la société d’assurances. Il y travaillait. Je crois même qu’il y avait un bon poste et puis du jour au lendemain, il est parti, il n’y est jamais retourné. J’ai entendu dire qu’il pouvait y retourner…Il vit avec nous. Mais dans ma vie je l’ai toujours vu travailler sur les chantiers ou faire le serrurier. Des fois il revenait avec de l’argent. C’était bizarre, alors que ma mère est très carrée, chemisier pour lundi, chemisier pour Dimanche, je me lève à telle heure. C’est vraiment fou parce qu’il y a une vraie différence.

Mon père partait à la recherche de boulot…Il est même allé ramasser sur les marchés pour accumuler un peu d’argent avant les vacances pour bien profiter des vacances. Mon père, je le connais très peu. Ma mère je connais beaucoup de choses sur elle, de sa jeunesse, de tout. Mon père je ne connais rien. Je lui déjà posé des questions mais c’est une personne qui ne parle pas. Il est très introverti. On est très proches avec mon père mais c’est bizarre, on peut s’embrasser, se faire des câlins toute la journée, par contre il ne m’a jamais raconté…mais jamais. Bizarrement ça me trotte dans la tête mais j’ai peur de certaines choses.

Avec ma mère on discute beaucoup de ce qu’elle a vécu. Elle n’a pas eu une enfance très facile ; mon père je ne sais pas du tout quelles études il a fait, s’il a fait des études, je n’en sais rien du tout. Je sais deux, trois anecdotes quand il avait cinq ans, c’est tout. Je ne sais pas ce qu’il a fait avant de rencontrer ma mère. Je ne sais pas ce qu’il a fait lorsque j’étais petit, quel métier il faisait. Quand les fins de mois étaient un peu rudes, il ramenait de l’argent. On ne sait pas d’où ça venait. Je ne dis pas que mon père est un truand ou quoi…j’en sais rien du tout. Mais je sais qu’aujourd’hui il s’est calmé. Il est plus posé. Je connais le côté sarcellois de ma mère. Mon père a vécu à Paris. Sur sa carte d’identité, il est mentionné Neuilly. Je ne comprends pas. Il n’a jamais vécu à Neuilly, mais sur sa carte c’est Neuilly.

Un jour je me suis beaucoup énervé avec mon père et ce jour là il m’a dit tu ne me connais pas. « Oui je ne te connais pas… j’aimerais bien te connaître ». Il y a des choses qu’il ne faut pas savoir. Et pourtant je tiens à le dire, j’ai une relation fabuleuse avec mon père. On est super proches, on parle beaucoup de ce qui se passe aujourd’hui, de ce qu’il fait aujourd’hui, de ce que je fais aujourd’hui.

Souvenirs d’enfance

A ma naissance j’ai vécu à Aubervilliers. Mon grand frère s’occupait de moi. Ma grand-mère habitait le village à Sarcelles et je venais souvent la voir. Du jour au lendemain mes parents ont déménagé et se sont posés aux Rosiers près de l’église, pas loin du cimetière. C’était un immeuble de deux étages. C’était calme, en plus il y avait une petite cour, avec grenier aménagé. Ça faisait donc duplex. J’ai vécu là-bas six ans de 1993 à 1998.

Scolarité

J’ai commencé ma dernière section de maternelle à Lelong, après à l’école je ne foutais rien. J’étais le clown de la classe. J’assume totalement ce que j’ai fait. J’ai toujours fait le strict nécessaire. Je prenais plutôt. J’apprenais mais le contrôle à la fin de la semaine je m’en foutais. J’allais à l’école avec le sourire. Quelquefois j’y allais, j’avais oublié mon cartable. Quand j’allais à l’école là-bas, j’y allais toujours à pied. Je n’ai jamais eu aucun problème.

L’école à Chantepie

C’est vrai que j’étais à l’école Chantepie et pas à Curie, à la limite de Groslay. Lelong était beaucoup plus grande. C’était l’usine. Il y avait beaucoup plus de classes, beaucoup plus de monde. Dans cette école, c’était beaucoup plus petit. L’école est entre les bâtiments, il n’y a aucune route, rien.

J’adorais, je connaissais tout le monde dans l’école au bout de deux semaines. Il n’y avait pas beaucoup de classes. On voyait tout le monde à la même heure descendre les escaliers ; là on débarquait tous. C’était magnifique. Il n’y avait pas de routes, pas de voitures. L’école était à trente secondes à pied. Quelquefois ma mère me regardait à la fenêtre. Je me rappelle des gens qui vérifiaient si leur enfant allait bien à l’école et non pas acheter des bonbons à la boulangerie. Souvent je croisais mon père qui rentrait du parking, comme ça. A l’époque il y avait l’école maternelle juste à côté. Souvent je voyais mes petits frères et sœurs et je leur disais bonjour ! Quand j’habitais là-bas je ne sortais jamais. Je restais dans mon parking, dans la cour. Mes parents me disaient : « tu ne sors pas du quartier de Chantepie ». Moi, j’adorais à dix ans, sortir, aller jouer au foot. Quelquefois je sortais, il n’y avait rien à faire, je rentrais cinq minutes après.

Sortir pour moi, c’était s’évader du monde de la maison. Le week-end je sortais de chez moi. La situation à la maison était assez difficile et dès que je pouvais sortir, je sortais. En semaine c’était vraiment pour aller jouer au foot, à la fin de mes devoirs, et pourtant je ne les faisais pas, je sortais et j’allais jouer au foot ! A dix ans, le week-end, je revenais à la dernière heure. A dix ans !

Le plaisir d’apprendre

Je vais à l’école pour apprendre, je ne vise aucun bac, aucune école supérieure, je ne vise même pas le contrôle. Quand il y a un contrôle pendant les périodes de travail, je révise parce qu’il faut le faire. Je suis toujours allé comme ça, par plaisir d’apprendre. J’ai des buts dans ma tête. J’ai envie de vivre. Les études pour moi, ce n’est que du bonus, je ne suis vraiment pas dans l’optique des autres élèves, et des autres professeurs. Ça, ils n’aiment vraiment pas. Avant je détestais l’école, aujourd’hui j’ai pris conscience que c’était la plus belle chose. A la base, l’école c’est la transmission du savoir de quelqu’un à d’autres. On cache tout ça par rapport au bac ou à l’examen en fin d’année. Beaucoup de profs ont oublié que leur métier est magnifique.

Le collège Voltaire

Pendant très longtemps à Voltaire les classes A étaient les meilleures classes. Il y avait des enfants des profs du collège dans cette classe. Des fois on mettait deux, trois fouteurs de merde, j’en ai fait partie, on les mettait en A. Je me suis retrouvé avec un copain à moi dans cette classe, je me suis dit « mais qu’est-ce qu’on fout là ? » ; c’est chaud parce que dans un collège public comme ça, il y avait toujours cette classe qui était le summum. C’est vrai, je me rappelle, quand j’étais dans cette classe en quatrième, ça a été ma pire année : « il faut que tu travailles plus vite… ». Ça m’a toujours énervé cette classe. Pourquoi elle était là ? Pourquoi on mettait entre guillemets les meilleurs au niveau scolaire dans cette classe ?

Violences entre quartiers

Quand je sortais, je voyais souvent des groupes. Ce sont souvent des groupes des Chardo qui ont été en conflit ; j’ai vu deux, trois grosses bagarres. Les mecs arrivaient en masse et ça se tapait. Je venais d’arriver. C’était en 1999. J’avais dix ans. Moi ça m’excitait un peu, j’étais curieux. « Oh là, là ! C’est quoi ce truc ! ». Ça se passait souvent du côté de la boulangerie. Ils arrivaient par là et dès que je voyais tous les grands du quartier se dirigeaient là-bas, moi j’étais le petit dernier à suivre, je regardais ; quand les flics arrivaient et gazaient à la lacrymogène, j’étais toujours en train de courir… J’ai vu ça quatre fois. Ça faisait partie de l’ambiance, mais j’ai vécu ça vite fait au début, quartier contre quartier, entre groupes des Chardo et des Rosiers. C’était assez violent. Ils descendaient à quarante. Ça se passait aussi à Voltaire, mais je n’y étais pas.

Fêtes, fumette

Sur MSN avant de donner une adresse, il y a marqué accepter ou refuser. On a la possibilité de garder le contact avec des amis. Mais je ne resterais pas des heures devant MSN. Je sors beaucoup pour aller m’amuser, voir des amis, je sors pour aller me cultiver (au cinéma, etc.), je sors pour le travail. Mais il y a longtemps que je ne sors plus pour glander.

Avant j’allais en bas et je fumais des pétards toute la journée. A une époque, j’étais glandouille totale ! C’était ça, je m’en mettais plein la tête ! Maintenant la police a deux moto-cross qui passent partout, tous les coins où on se retrouvait tout le temps on ne les voit pas. Aujourd’hui, j’ai changé. Simplement je vais à des fêtes, on fait la fête, et je prends un pétard de temps en temps. Mes parents sont au courant. Aux fêtes je ne bois pas. L’un est interdit, l’autre pas. Ça fait toute la différence. Fumer, il faut savoir gérer ça. J’ai des amis qui fument beaucoup. Les jeunes commencent à fumer la cigarette au collège.

Continuer les études et le théâtre

Je veux continuer à faire ce que je fais en ce moment. J’ai eu un parcours assez difficile avec l’école. Aujourd’hui, je suis comédien. J’ai commencé à travailler, il y a deux, trois ans. Je me suis réinscrit en seconde cette année avec deux ans de retard. Je fais des castings. Je rencontre des gens. J’ai aussi beaucoup de rendez-vous en journée. Quand c’est une journée ou deux, on peut rattraper, mais quand c’est deux mois.

L’année dernière, je suis arrivé deux mois après le début… C’est difficile de reprendre en cours de programme. Et puis j’ai dû arrêter en janvier. Là ils m’ont dégagé et pourtant des fois je me dis « j’aimerais bien y retourner ».

Je n’ai pas envie spécialement envie de faire quelque chose à côté, mes parents m’ont dit : « fais des cours par correspondance ». Mais moi je fais trois langues, et un professeur c’est super important. Me connaissant, j’ai besoin de sortir, de bouger, c’est assez difficile. Par rapport à l’école, j’ai envie de continuer.

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